Aller au contenu

Page:Tinayre - La Rancon.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Ah ! si Jacqueline était là, pensa Chartrain, quel rêve d’entendre ces Lieder divins dans la nuit divine ! » La lampe allumée, il essaya d’écrire, puis il posa sa plume, rêva, fuma des cigarettes, ouvrit un livre. Il n’avait aucunement le désir du sommeil. Enfin il se pencha à la fenêtre ouverte sur le ciel de juin où les étoiles s’épanouissaient en fleurs de lumière. Il se rappelait des nuits pareilles, les nuits studieuses de sa vingtième année où, quand il préparait d’arides examens, de si beaux rêves veillaient avec lui, voletant autour de la lampe comme des papillons enivrés. Rêves de gloire, rêves d’amour, dont la vie avait brûlé les ailes. Plus tard, il avait connu les nuits fiévreuses que hante le souci du lendemain, nuits d’hiver sans feu, nuits d’été sans fraîcheur, nuits de misère dont on redoute l’aurore… Que tout cela était loin !

Des souvenirs lui revenaient. Pêle-mêle, il revoyait l’enterrement de son père, les premiers pas de son frère Maurice sur le tapis du salon provincial, la salle d’étude, ombreuse et fraîche, où il épelait l’alphabet. Puis Paris, la pauvreté d’un foyer de veuve, l’internat dans un vieux lycée, le travail acharné de l’adolescent qui prévoit les devoirs du jeune homme… Étienne achevait sa philosophie quand madame Vallier l’avait choisi pour donner des