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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/104

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Aux États-Unis, il n’existe pas de législation relative aux banqueroutes frauduleuses. Serait-ce qu’il n’y a pas de banqueroutes ? Non, C’est au contraire parce qu’il y en a beaucoup. La crainte d’être poursuivi comme banqueroutier surpasse, dans l’esprit de la majorité, la crainte d’être ruiné par les banqueroutes ; et il se fait dans la conscience publique une sorte de tolérance coupable pour le délit que chacun individuellement condamne.

Dans les nouveaux États du Sud-Ouest, les citoyens se font presque toujours justice à eux-mêmes, et les meurtres s’y renouvellent sans cesse. Cela vient de ce que les habitudes du peuple sont trop rudes, et les lumières trop peu répandues dans ces déserts, pour qu’on sente l’utilité d’y donner force à la loi : on y préfère encore les duels aux procès.

Quelqu’un me disait un jour, à Philadelphie, que presque tous les crimes, en Amérique, étaient causés par l’abus des liqueurs fortes, dont le bas peuple pouvait user à volonté, parce qu’on les lui vendait à vil prix. « D’où vient, demandai-je, que vous ne mettez pas un droit sur l’eau-de-vie ? — Nos législateurs y ont bien souvent pensé, répliqua-t-il, mais l’entreprise est difficile. On craint une révolte ; et d’ailleurs, les membres qui voteraient une pareille loi seraient bien sûrs de n’être pas réélus. — Ainsi donc, repris-je, chez vous les buveurs sont en majorité, et la tempérance est impopulaire. »

Quand on fait remarquer ces choses aux hommes d’É-