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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/162

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Dans les gouvernements absolus, les grands qui avoisinent le trône flattent les passions du maître et se plient volontairement à ses caprices. Mais la masse de la nation ne se prête pas à la servitude ; elle s’y soumet souvent par faiblesse, par habitude ou par ignorance ; quelquefois par amour de la royauté ou du roi. On a vu des peuples mettre une espèce de plaisir et d’orgueil à sacrifier leur volonté à celle du prince et placer ainsi une sorte d’indépendance d’âme jusqu’au milieu même de l’obéissance. Chez ces peuples, on rencontre bien moins de dégradation que de misères. Il y a d’ailleurs une grande différence entre faire ce qu’on n’approuve pas, ou feindre d’approuver ce qu’on fait : l’un est d’un homme faible, mais l’autre n’appartient qu’aux habitudes d’un valet.

Dans les pays libres, où chacun est plus ou moins appelé à donner son opinion sur les affaires de l’État ; dans les républiques démocratiques, où la vie publique est incessamment mêlée à la vie privée, où le souverain est abordable de toutes parts, et où il ne s’agit que d’élever la voix pour arriver jusqu’à son oreille, on rencontre beaucoup plus de gens qui cherchent à spéculer sur ses faiblesses et à vivre aux dépens de ses passions, que dans les monarchies absolues. Ce n’est pas que les hommes y soient naturellement pires qu’ailleurs, mais la tentation y est plus forte et s’offre à plus de monde en même temps. Il en résulte un abaissement bien plus général dans les âmes.

Les républiques démocratiques mettent l’esprit de