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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/204

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leur naissance, vont se créer au loin de vastes domaines. Ainsi l’Européen quitte sa chaumière pour aller habiter les rivages transatlantiques, et l’Américain qui est né sur ces mêmes bords s’enfonce à son tour dans les solitudes de l’Amérique centrale. Ce double mouvement d’émigration ne s’arrête jamais : il commence au fond de l’Europe, il se continue sur le grand Océan, il se suit à travers les solitudes du nouveau monde. Des millions d’hommes marchent à la fois vers le même point de l’horizon : leur langue, leur religion, leurs mœurs diffèrent, leur but est commun. On leur a dit que la fortune se trouvait quelque part vers l’Ouest, et ils se rendent en hâte au-devant d’elle.

Rien ne saurait se comparer à ce déplacement continuel de l’espèce humaine, sinon peut-être ce qui arriva à la chute de l’empire romain. On vit alors comme aujourd’hui les hommes accourir tous en foule vers le même point et se rencontrer tumultueusement dans les mêmes lieux ; mais les desseins de la Providence étaient différents. Chaque nouveau venu traînait à sa suite la destruction et la mort ; aujourd’hui chacun d’eux apporte avec soi un germe de prospérité et de vie.

Les conséquences éloignées de cette migration des Américains vers l’Occident nous sont encore cachées par l’avenir, mais les résultats immédiats sont faciles à reconnaître : une partie des anciens habitants s’éloignant chaque année des États où ils ont reçu la naissance, il arrive que ces États ne se peuplent que très lentement, quoiqu’ils vieillissent ; c’est ainsi que dans le Conne-