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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/237

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vement quel devrait être, de nos jours, l’état naturel des hommes en matière de religion. Connaissant alors ce que nous pouvons espérer et avons à craindre, nous apercevrions clairement le but vers lequel doivent tendre nos efforts.

Deux grands dangers menacent l’existence des religions : les schismes et l’indifférence.

Dans les siècles de ferveur, il arrive quelquefois aux hommes d’abandonner leur religion, mais ils n’échappent a son joug que pour se soumettre à celui d’une autre. La foi change d’objet, elle ne meurt point. L’ancienne religion excite alors dans tous les cœurs d’ardents amours ou d’implacables haines ; les uns la quittent avec colère, les autres s’y attachent avec une nouvelle ardeur : les croyances diffèrent, l’irréligion est inconnue.

Mais il n’en est point de même lorsqu’une croyance religieuse est sourdement minée par des doctrines que j’appellerai négatives, puisqu’en affirmant la fausseté d’une religion elles n’établissent la vérité d’aucune autre.

Alors il s’opère de prodigieuses révolutions dans l’esprit humain, sans que l’homme ait l’air d’y aider par ses passions, et pour ainsi dire sans qu’il s’en doute. On voit des hommes qui laissent échapper, comme par oubli, l’objet de leurs plus chères espérances. Entraînés par un courant insensible contre lequel ils n’ont pas le courage de lutter, et auquel pourtant ils cèdent à regret, ils abandonnent la foi qu’ils aiment pour suivre le doute qui les conduit au désespoir.