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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/262

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mites naturelles du despotisme et les bornes de la licence.

De longues révolutions ont pour jamais détruit le respect qui environnait les chefs de l’État. Déchargés du poids de l’estime publique, les princes peuvent désormais se livrer sans crainte à l’enivrement du pouvoir.

Quand les rois voient le cœur des peuples qui vient au-devant d’eux, ils sont cléments, parce qu’ils se sentent forts ; et ils ménagent l’amour de leurs sujets, parce que l’amour des sujets est l’appui du trône. Il s’établit alors entre le prince et le peuple un échange de sentiments dont la douceur rappelle au sein de la société l’intérieur de la famille. Les sujets, tout en murmurant contre le souverain, s’affligent encore de lui déplaire, et le souverain frappe ses sujets d’une main légère, ainsi qu’un père châtie ses enfants.

Mais quand une fois le prestige de la royauté s’est évanoui au milieu du tumulte de révolutions ; lorsque les rois, se succédant sur le trône, y ont tour à tour exposé au regard des peuples la faiblesse du droit et la dureté du fait, personne ne voit plus dans le souverain le père de l’État, et chacun y aperçoit un maître. S’il est faible, on le méprise ; on le hait s’il est fort. Lui-même est plein de colère et de crainte ; il se voit ainsi qu’un étranger dans son pays, et il traite ses sujets en vaincus.

Quand les provinces et les villes formaient autant de nations différentes au milieu de la patrie commune, chacune d’elles avait un esprit particulier qui s’opposait à l’esprit général de la servitude ; mais aujourd’hui que