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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/330

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peuplé qu’un pays cultivé par des hommes libres ; de plus, l’Amérique est une contrée nouvelle ; au moment donc où un État abolit l’esclavage, il n’est encore qu’à moitié plein, À peine la servitude y est-elle détruite, et le besoin des travailleurs libres s’y fait-il sentir, qu’on voit accourir dans son sein, de toutes les parties du pays, une foule de hardis aventuriers ; ils viennent pour profiter des ressources nouvelles qui vont s’ouvrir à l’industrie. Le sol se divise entre eux ; sur chaque portion s’établit une famille de blancs qui s’en empare. C’est aussi vers les États libres que l’émigration européenne se dirige. Que ferait le pauvre d’Europe qui vient chercher l’aisance et le bonheur dans le nouveau monde, s’il allait habiter un pays où le travail est entaché d’ignominie ?

Ainsi la population blanche croît par son mouvement naturel et en même temps par une immense émigration, tandis que la population noire ne reçoit point d’émigrants et s’affaiblit. Bientôt la proportion qui existait entre les deux races est renversée. Les nègres ne forment plus que de malheureux débris, une petite tribu pauvre et nomade, perdue au milieu d’un peuple immense et maître du sol ; et l’on ne s’aperçoit plus de leur présence que par les injustices et les rigueurs dont ils sont l’objet.

Dans beaucoup d’États de l’Ouest, la race nègre n’a jamais paru ; dans tous les États du Nord elle disparaît. La grande question de l’avenir se resserre donc dans un cercle étroit ; elle devient ainsi moins redoutable, mais non plus facile à résoudre.