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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/92

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Concluons qu’il est aussi difficile de comparer avec fruit les dépenses sociales des Américains aux nôtres, que la richesse de l’Union à celle de la France. J’ajoute qu’il serait même dangereux de le tenter. Quand la statistique n’est pas fondée sur des calculs rigoureusement vrais, elle égare au lieu de diriger. L’esprit se laisse prendre aisément aux faux airs d’exactitude qu’elle conserve jusque dans ses écarts, et il se repose sans trouble sur des erreurs qu’on revêt à ses yeux des formes mathématiques de la vérité.

    entière se charge de fournir, il faut encore que le soldat donne son temps, qui a une valeur plus ou moins grande suivant l’emploi qu’il en pourrait faire s’il restait libre. J’en dirai autant du service de la milice. L’homme qui fait partie de la milice consacre momentanément un temps précieux à la sûreté publique, et donne réellement à l’État ce que lui-même manque d’acquérir. J’ai cité ces exemples ; j’aurais pu en citer beaucoup d’autres. Le gouvernement de France et celui d’Amérique perçoivent des impôts de cette nature : ces impôts pèsent sur les citoyens : mais qui peut en apprécier avec exactitude le montant dans les deux pays ?

    Ce n’est pas la dernière difficulté qui vous arrête lorsque vous voulez comparer les dépenses publiques de l’Union aux nôtres. L’État se fait en France certaines obligations qu’il ne s’impose pas en Amérique, et réciproquement. Le gouvernement français paye le clergé ; le gouvernement américain abandonne ce soin aux fidèles. En Amérique, l’État se charge des pauvres ; en France, il les livre à la charité du public. Nous faisons à tous nos fonctionnaires un traitement fixe, les Américains leur permettent de percevoir certains droits. En France, les prestations en nature n’ont lieu que sur un petit nombre de routes ; aux États-Unis, sur presque tous les chemins. Nos voies sont ouvertes aux voyageurs, qui peuvent les parcourir sans rien payer ; on rencontre aux États-Unis beaucoup de routes à barrières. Toutes ces différences dans la manière dont le contribuable arrive à acquitter les charges de la société rendent la comparaison entre ces deux pays très difficile ; car il y a certaines dépenses que les citoyens ne feraient point ou qui seraient moindres, si l’État ne se chargeait d’agir en leur nom.