Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/19

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que sa femme, fatiguée, déjà âgée, pas jolie ni remarquable en quoi que ce soit, tout simplement bonne mère de famille, devait en toute justice être indulgente. Et il venait de découvrir que c’était tout le contraire !

— « Ah ! comme c’est terrible ! Ah ! Ah ! répétait Stépan Arkadiévitch ; et il ne pouvait trouver d’issue. Et comme tout allait bien jusque-là ! Comme nous étions heureux ! Elle était contente, heureuse avec ses enfants. Je ne la gênais en rien, je la laissais s’occuper des enfants à sa guise. Ce qui est mal en effet, c’est qu’elle était gouvernante dans notre maison. Oui, ce n’est pas bien ! Il y a quelque chose de vulgaire et de banal à faire la cour à sa gouvernante. Mais aussi quelle femme ! (Et il revoyait nettement, dans sa pensée, les yeux noirs et vifs et le sourire de mademoiselle Roland). Mais tout le temps qu’elle fut à la maison je ne me suis rien permis. Et le pire de tout c’est qu’elle… C’est un fait exprès ! Ah ! Ah ! Ah ! que faire ? que faire ? »

Il n’y avait pas d’autre réponse que celle qu’apporte la vie à toutes les questions les plus compliquées et les plus difficiles à résoudre : s’accommoder du présent, c’est-à-dire oublier. Oublier dans le sommeil, c’était impossible avant la nuit ; du moins, il était impossible de retourner à cette musique que chantaient les petites femmes-carafes de son rêve, alors il lui fallait oublier dans le sommeil de la vie.