Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/191

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tapage dans la rue. Il se rappelait encore le procès honteux qu’il avait intenté à son frère Serge Ivanitch, accusant celui-ci de ne pas lui avoir donné sa part de l’héritage maternel ; et sa dernière affaire enfin, quand il était parti servir dans l’ouest où il s’était vu traduire devant les tribunaux pour avoir frappé un starosta… Tout cela était bas et honteux, mais Lévine ne le voyait pas sous un jour aussi noir que ceux qui ne connaissaient pas l’histoire de Nicolas et ignoraient son cœur.

Lévine se rappelait qu’en cette période de piété, d’abstinence monacale, de dévotions, alors que Nicolas cherchait dans la religion un appui et un frein pour sa nature passionnée, personne ne l’avait encouragé ; au contraire, tout le monde, et lui-même, Lévine, se moquait de lui. On le tournait en ridicule ; on l’appelait Noé ou le moine, et quand il était déguenillé, au lieu de lui venir en aide, tous se détournaient de lui avec horreur et dégoût.

Lévine sentait bien que Nicolas, tout au fond de son âme, malgré l’apparente laideur de sa vie, n’était pas plus blâmable que ceux qui le méprisaient. Il n’était pas coupable d’être né avec son caractère insociable et son esprit mécontent ; il avait, au contraire, toujours voulu être bon. « Je lui dirai tout ; lui-même se confiera à moi et je lui ferai entendre que je l’aime et que, par conséquent, je le comprends », concluait-il en arrivant, après dix heures, à l’hôtel indiqué dans l’adresse.