Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/207

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et son mécontentement s’effacer. La vue seule d’Ignace et des chevaux était cause de ce changement. Il endossa le touloupe qu’on lui avait apporté, s’assit dans le traîneau, s’enveloppa, et partit en songeant aux ordres à donner en rentrant ; quand il regarda le cheval de volée, un ancien cheval de selle du Don, maintenant usé mais qui avait été beau, il commença à comprendre tout à fait autrement ce qui lui était arrivé. Il se sentit à sa place, et résolut de s’accommoder de sa situation présente ; il ne désirait plus qu’une chose : devenir meilleur qu’il n’avait été jusque-là. Premièrement, il décida, à dater de ce jour, de ne plus songer au bonheur extraordinaire que devait lui donner le mariage et, par conséquent, de moins négliger le présent ; deuxièmement, de ne plus jamais se laisser entraîner par les mauvaises passions dont le souvenir l’avait fait tant souffrir quand il se préparait à faire sa déclaration ; enfin, de ne plus oublier son frère Nicolas. Il se promettait de ne jamais l’oublier, de le suivre, de ne pas le perdre de vue, afin d’être prêt à l’aider quand il en aurait besoin, ce qui, il n’en pouvait douter, arriverait bientôt. La conversation sur le communisme qu’il avait si légèrement traité avec son frère le faisait aussi réfléchir. Il ne croyait point à la transformation des conditions économiques, mais il avait toujours senti l’injustice de son abondance en comparaison de la pauvreté du peuple, et il se pro-