Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/30

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— À peu près une demi-heure.

— Combien de fois t’ai-je ordonné de m’avertir aussitôt.

— Il faut au moins vous donner le temps de prendre votre café, dit Matthieu d’un ton amical et familier contre lequel on ne pouvait se fâcher.

— Eh bien, dépêche-toi de faire entrer ! dit Oblonskï en fronçant les sourcils de dépit.

La solliciteuse, veuve d’un capitaine d’état-major nommé Kalinine, demandait une chose impossible et insensée. Mais Stépan Arkadiévitch, comme il en avait coutume, la pria de s’asseoir, l’écouta attentivement sans l’interrompre et lui indiqua exactement la marche à suivre ; il lui écrivit même, de sa belle écriture longue et lisible, un petit mot pour quelqu’un qui pouvait lui être utile.

Aussitôt la solliciteuse partie, Stépan Arkadiévitch prit son chapeau et s’arrêta, se demandant s’il n’avait point oublié quelque chose : il n’avait rien oublié, sauf ce qu’il voulait principalement oublier : sa femme.

— Ah ! oui ! s’écria-t-il en baissant la tête, et son joli visage prit une expression de mélancolie. Dois-je y aller ou non ?

Une voix intérieure lui disait de n’y pas aller, que tout ce qu’il dirait ne serait que feinte et mensonge, que la situation était irréparable parce qu’il était aussi impossible de rendre à sa femme le charme et l’attrait de la jeunesse que de faire de