Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/70

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donc, imbécile », disait-il à son cœur. Et plus il tâchait de se calmer, plus l’émotion lui serrait la gorge. Un de ses amis l’aperçut et l’appela, mais Lévine ne le reconnut même pas. Il s’approcha des montagnes le long desquelles grinçaient les chaînes des trains glissant pour remonter, et où résonnaient des voix joyeuses. Il fit encore quelques pas et se trouva devant le patinage ; aussitôt, parmi tous les patineurs, il la reconnut.

Il reconnut sa présence à la joie et à la crainte qui saisirent son cœur. Elle était debout et causait avec une dame à l’autre extrémité du patinage. Il semblait n’y avoir rien de particulier tant dans son vêtement que dans sa pose, mais pour Lévine, la reconnaître dans cette foule était aussi aisé que de distinguer une rose parmi des orties. Tout semblait éclairé par elle. Elle était le sourire illuminant tout son entourage.

« Faut-il descendre là-bas sur la glace et m’approcher d’elle » ? pensa-t-il. L’endroit où elle était lui semblait un tabernacle inaccessible, et pendant un instant il fut sur le point de s’en aller, tant il était ému. Il lui fallut faire un effort ; il se dit que des gens de toutes sortes circulaient autour d’elle, et que, par conséquent, lui aussi pouvait bien aller là-bas pour patiner. Il descendit donc, en évitant de la regarder, mais elle brillait pour lui comme un astre et il la voyait sans même la regarder.

Le patinage, les jours de semaine, était, à cette