Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/132

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je lui demande de ne me rien laisser, et qu’à cette seule condition, je puis revenir chez lui.

Dmitri n’éclata pas de rire à ces paroles, au contraire, il devint pensif, et après un court silence, me dit :

— Sais-tu ? tu n’as pas raison, car tu ne dois pas du tout supposer que l’on peut avoir de toi la même opinion que d’une princesse quelconque, ou, si déjà tu supposes cela, va plus loin, c’est-à-dire suppose qu’on peut avoir telles pensées à ton sujet, mais que ces idées sont si loin de toi que tu les méprises et que tu ne feras rien en te basant sur elles. Tu supposes qu’il suppose que tu supposes cela… — et, sentant à ces mots qu’il s’égarait dans son raisonnement : — le mieux de tout, c’est de ne pas supposer cela.

Mon ami avait tout à fait raison, ce n’est que beaucoup plus tard, par l’expérience de la vie, que j’acquis la conviction qu’il est fâcheux de supposer et encore plus fâcheux de parler beaucoup de ce qui semble très noble, mais doit toujours être caché de tous dans le cœur de chaque homme ; et je me suis également convaincu que les nobles paroles concordent rarement avec les actes nobles. Je me suis convaincu que le fait seul qu’une bonne intention est exprimée, rend difficile et souvent même impossible la réalisation de cette intention. Mais comment se contenir et ne pas exprimer les nobles enthousiasmes de la jeunesse ? Ce n’est que