Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/15

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de fumier gelé ; près du perron, entre les pierres, verdissaient des mousses.

C’était ce moment singulier du printemps qui agit le plus fortement sur l’âme des hommes : le soleil brille, mais sans chaleur ; de petits ruisseaux et des flaques ; la fraîcheur parfumée dans l’air, et les cieux d’un bleu tendre, avec de longs nuages diaphanes. Je ne sais pourquoi, mais il me semble que dans la grande ville l’influence de cette période où naît le printemps est encore plus sensible et plus forte, — on voit moins, mais on pressent davantage. J’étais debout près de la fenêtre ; sur le parquet de cette salle de classe qui m’ennuyait horriblement, le soleil du matin, à travers les doubles vitres, projetait ses rayons, où voltigeaient des poussières. J’étais occupé à résoudre sur le tableau noir une longue équation d’algèbre. D’une main, je tenais une « Algèbre » de Franker, déchirée, et de l’autre, un petit morceau de craie avec lequel j’avais déjà sali mes mains, mon visage et les coudes de mon habit. Nikolaï, en tablier, les manches retroussées, enlevait avec un ciseau le mastic de la fenêtre et redressait les clous du châssis qui s’ouvrait sur le jardin. Mon attention fut distraite par son travail et par le bruit qu’il faisait. En outre, j’étais de très mauvaise humeur. Rien ne me réussissait : une faute que je fis au commencement des calculs m’obligea à tout recommencer ; deux fois, je laissai