Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/23

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à deux archines[1] de terre et je le tiendrais pour qu’il sente seulement ma force, puis je le laisserais ; mais cependant, cela non plus n’est pas bien : — alors, non, je ne lui ferais pas de mal, je prouverais seulement que moi… »

Qu’on ne me fasse pas reproche de ce que les rêves de ma jeunesse sont aussi puérils que ceux de l’enfance et de l’adolescence. Je suis convaincu que s’il m’est réservé d’atteindre l’extrême vieillesse, si je deviens un vieillard de soixante-dix ans, mes rêves seront aussi enfantins qu’à présent. Je rêverai de quelque belle Marie, qui m’aimera, moi, vieillard édenté, comme elle a aimé Mazeppa. Je rêverai que mon fils, faible d’esprit, par un hasard quelconque, tout d’un coup est devenu ministre, ou que spontanément, j’aurai des quantités de millions. Je suis convaincu que pas un être humain, quel que soit son âge, n’est privé de ce pouvoir bienfaisant et consolateur du rêve. Mais sauf leur trait général d’impossibilité et de magie, les rêves de chaque homme et de chaque âge ont leurs caractères différents. Dans cette période que je prends pour limite de l’adolescence et de la jeunesse, quatre sentiments faisaient le fond de mes rêves : l’amour d'elle, de la femme imaginaire dont je rêvais toujours de la même façon et qu’à chaque instant j’espérais rencontrer quelque

  1. Un archine, 0 m. 71 centimètres.