Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/291

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pu me vanler de mes relations mondaines, mais je n’en avais pas comme Volodia. Alors, quelle était donc cette hauteur avec laquelle je les regardais ! Ma connaissance avec le prince Ivan Ivanovitch ? Ma prononciation du français ? Mes drojki ? Mes chemises en toile de Hollande ? Mes ongles ? Mais n’est-ce pas une bêtise que tout cela ? — pensais-je parfois, timidement, sous l’influence de l’envie que me causaient cette camaraderie et cette franche gaieté que je voyais devant moi.

Tous se tutoyaient. La simplicité de leurs rapports allait jusqu’à la grossièreté, mais une grossièreté extérieure et sous laquelle perçait toujours le souci de ne point se froisser mutuellement. Parmi les expressions au moyen desquelles ils se manifestaient leur affection, celle de « lâche cochon » me chiffonnait un peu et me donnait un prétexte à moquerie ; mais ces paroles ne les blessaient pas et ne les empêchaient pas d’être ensemble sur le pied de la plus grande amitié.

Dans leurs rapports entre eux, ils étaient attentifs, délicats, comme seuls peuvent l’être les jeunes gens très pauvres et très jeunes. Je sentais surtout quelque chose de grand, de brave dans le caractère de Zoukhine, et même dans ses aventures au cabaret de Lisbonne, je pressentais que ses orgies, ses noces, devaient être tout autres que cette feinte avec le punch et le champagne à laquelle j’avais pris part chez le baron.