Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/307

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vous ambitionnez pour moi. Chère tante, ne formez pas pour moi de projets ambitieux, habituez-vous à la pensée que j’ai pris une route tout à fait spéciale, qui est bonne et qui, je le sens, me mènera au bonheur. J’ai réfléchi beaucoup et beaucoup à mes devoirs futurs, j’ai écrit ma règle de conduite, et si Dieu m’en donne la force, je réussirai dans mon entreprise.

» Ne montrez pas cette lettre à mon frère Vassia : je crains ses moqueries. Il est habitué à me commander et moi à me soumettre à lui. Tant qu’à Vania, si même il n’approuve pas ma décision, il la comprendra. »

La comtesse répondit par la lettre suivante, écrite aussi en français :

« Ta lettre, cher Dmitri, ne m’a rien prouvé sauf que tu as bon cœur, ce dont je n’ai jamais douté. Mais, cher ami, dans la vie, nos bonnes qualités nous nuisent plus que les mauvaises. Je ne te dirai pas que tu fais une sottise, que ta conduite m’attriste, mais je tâcherai d’agir sur toi en te convainquant. Raisonnons, mon ami. Tu dis que tu sens ta vocation pour la vie de la campagne, que tu désires faire le bonheur de tes paysans, et que tu espères être un bon maître : 1° Je dois te dire que nous ne sentons notre vocation que quand nous nous trompons sur elle ; 2° qu’il est plus facile de faire son bonheur que celui des autres ; et 3° que pour être un bon maître il est nécessaire