Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol24.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pommier pour avoir des pommes ? Chaque homme doué de quelque raison sait qu’il faut supporter des difficultés pour se procurer le moindre bien. Et voilà que nous disons que la doctrine du Christ est admirable, mais impossible à pratiquer parce qu’elle est difficile. Elle est difficile parce qu’elle exige que nous nous privions de certaines jouissances. On croirait que nous n’avons jamais entendu dire qu’il est parfois préférable de supporter des privations au lieu de satisfaire tous ses désirs.

L’homme peut tomber à l’état de bête. Mais quand il raisonne, l’homme ne peut pas dire qu’il voudrait se ravaler à l’état de bête. Du moment qu’il raisonne, il a la conscience d’être doué de raison, et il distingue ce qui est raisonnable de ce qui ne l’est pas. La raison ne prescrit rien, elle ne fait qu’éclairer.

Dans l’obscurité, je me meurtris les mains et les genoux en cherchant la porte. Quelqu’un entre avec de la lumière et je vois la porte. Je ne puis plus aller me heurter contre le mur quand je vois la porte, et encore moins puis-je dire que je vois la porte, qu’il est mieux de passer par la porte, mais, comme c’est difficile, que je veux continuer à me meurtrir les genoux contre le mur.

Dans cet admirable raisonnement : la doctrine chrétienne est très belle et assure le bonheur au monde ; mais les hommes sont faibles, les hommes sont méchants, ils veulent faire le mieux et font