Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/385

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s’est mis à servir la science, et la science à servir n’importe quoi, il a perdu son importance et, malgré les droits qu’on réclame par vieille habitude, malgré l’affirmation inepte, — qui prouve seulement la perte de la vocation — que l’art sert l’art, il est devenu un métier qui fournit aux hommes des choses agréables et qu’on confond inévitablement avec les arts chorégraphique, culinaire, capillaire, cosmétique, dont les producteurs s’appellent des artistes avec le même droit que les poètes, les peintres et les musiciens de notre temps.

On se retourne et l’on voit que, pendant des milliers d’années, parmi les milliards d’hommes qui vécurent, quelques dizaines sortent de la foule. Confucius, Bouddha, Solon, Socrate, Salomon, Homère, Esaüe, David. Ces hommes sont rares, on le voit, bien qu’ils n’appartiennent pas à une seule caste, mais à toute l’humanité.

Évidemment ils sont rares les vrais savants, les vrais artistes, les producteurs de la nourriture spirituelle, et ce n’est pas en vain que l’humanité les a appréciés et les apprécie si haut. Or, il se trouve que tous ces grands adeptes de la science et de l’art nous sont maintenant inutiles. La production scientifique et artistique, selon la loi de la distribution du travail, peut se faire au moyen des fabriques et, pendant une dizaine d’années, nous ferons plus de grands savants et d’artistes qu’il n’y