Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/442

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le dîner. Si je n’avais pas la superstition de considérer l’autre homme comme ma propriété j’apprendrais cet art, comme tout autre art nécessaire à ma vraie propriété, c’est-à-dire à mon propre corps, et maintenant je l’enseigne à une propriété imaginaire, et le résultat est celui-ci : que mon cuisinier ne m’obéit pas, ne désire pas me satisfaire et même me quitte ou meurt, et moi je reste avec des besoins non satisfaits, avec la honte d’apprendre, avec la conscience d’avoir dépensé, pour dresser ce cuisinier, autant de temps qu’il m’en fallait pour apprendre moi-même. Il en est de même pour la propriété des bâtiments, des vêtements, des meubles, de la terre, de l’argent. Chaque propriété imaginaire provoque en moi des besoins non correspondants qui ne sont pas toujours satisfaits et me privent de la possibilité d’acquérir pour ma vraie propriété indiscutable, pour mon corps, les sciences, le savoir, les habitudes, les perfections que je pourrais acquérir.

Le résultat est toujours celui-ci : je dépense, inutilement pour moi et pour ma vraie propriété, mes forces, parfois toute ma vie, à ce qui n’est et ne peut être ma propriété.

J’installe ma bibliothèque imaginaire, ma propre galerie de tableaux, mon propre appartement, mes habits, j’acquiers mon propre argent pour acheter ce qui m’est nécessaire et le résultat est que je finis par m’occuper d’une propriété imaginaire