Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Alors nous ne devons pas les blâmer, mais les plaindre. Sont-elles coupables ?

Je ne me rappelle pas dans quels termes j’ai dit cela, mais je me rappelle que j’étais révolté du ton méprisant du jeune maître de ce logis plein de femmes qu’il appelait des prostituées ; j’avais pitié de cette femme et j’exprimais l’un et l’autre sentiment. Dès que j’eus parlé ainsi, dans l’autre loge, d’où l’on entendait des rires, les planches du lit grincèrent, et, au-dessus de la cloison, qui n’arrivait pas au plafond, se montra une tête de femme ébouriffée, aux petits yeux bouffis, au visage rouge, luisant ; après elle une autre et même une troisième. Évidemment elles avaient grimpé sur le lit et toutes trois, le cou tendu, retenant leur haleine, attentives, regardaient en silence.

Il y eut un moment de gêne ; l’étudiant, qui, auparavant, souriait, était devenu sérieux ; le maître du logis, gêné, baissait les yeux. Les femmes ne respiraient pas, mais regardaient et attendaient.

J’étais le plus gêné. Je ne prévoyais pas que des paroles prononcées au hasard fissent un tel effet. C’était comme le champ de mort d’Ezéchiel, plein d’ossements, qui trembla au contact de l’esprit, tandis que les os des morts commencèrent à se mouvoir. J’avais prononcé sans y réfléchir une parole d’amour et de pitié et elle agissait sur toutes, comme si elles n’attendaient que cette