Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol36.djvu/157

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chant, d’une part, à se rappeler toutes les choses intelligentes qu’il avait imaginées, d’autre part, et surtout, à ne pas s’arrêter une seule minute, pour que son réquisitoire coulât sans interruption pas moins d’une heure un quart. Une seule fois, cependant, il s’arrêta assez longtemps, remâcha sa salive, mais enfin il reprit son élan et parvint même, par un torrent d’éloquence recrudescente, à racheter son arrêt. Tantôt il parlait d’une voix molle et insinuante, en se balançant sur l’un ou l’autre pied et en fixant les jurés, tantôt d’un ton calme et reposé, en consultant ses dossiers ; ou bien, d’une voix tonitruante et accusatrice, en se tournant vers le public et les jurés. Mais il ne regarda pas une seule fois les accusés, qui, tous trois, le dévoraient des yeux. Son discours fourmillait de considérations nouvelles, en faveur dans son monde, réputées alors, et encore aujourd’hui, comme le dernier mot de la science. Il y parlait d’hérédité, de criminalité innée, de Lombroso, de Tarde, d’évolution, de lutte pour l’existence, d’hypnotisme et de suggestion, de Charcot, et de décadence.

Le marchand Smielkov, d’après lui, était le type du russe puissant et naturel, qui, avec sa nature large, confiante, généreuse, était devenu la proie d’êtres profondément débauchés, au pouvoir desquels il était tombé.

Simon Kartinkine, produit atavique de l’ancien servage, était l’homme écrasé, ignorant, dépourvu