Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/124

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un moujik à grande barbe, en bonnet de feutre ; en retenant du coude le manche de son fouet, il attachait une corde. Derrière lui, dans la charrette, tremblaient cinq soldats diversement installés.

L’un avait la main bandée, la capote jetée sur les épaules, sur la chemise. Il était maigre et pâle mais assis bravement au milieu de la charrette, et en apercevant l’officier, il voulut enlever son bonnet. Mais, se rappelant sans doute qu’il était blessé, il fit seulement semblant de vouloir se gratter la tête. L’autre, à côté de lui, était couché sur le fond de la charrette. On ne voyait que ses deux mains qui s’accrochaient au bord du véhicule et ses genoux soulevés qui se balançaient de tous côtés comme une chiffe. Le troisième, le visage enflé, la tête entourée d’un bandage, sur lequel était posé son bonnet, était assis de côté, les jambes pendantes vers la route et les mains appuyées sur les genoux, il semblait dormir. L’officier s’adressa précisément à ce dernier.

— Doljnikov ! — cria-t-il.

— Moi ! — répondit le soldat en ouvrant les yeux et en ôtant son bonnet. Sa voix était si basse, et si saccadée qu’on eût dit que vingt soldats criaient ensemble.

— Quand as-tu été blessé, mon cher ?

Les yeux vitreux et gonflés du soldat s’animèrent. Il avait reconnu son officier.