Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/126

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marquable. Il avait un de ces amours-propres qui se confondent à un tel point avec la vie, et se développent le plus souvent dans les cercles d’hommes et surtout dans les cercles militaires, qu’il ne voyait pas d’autre alternative : être le premier ou se détruire. L’amour-propre était le mobile même de ses mouvements intérieurs, il aimait à se trouver lui-même le premier parmi les hommes auxquels il se comparait.

— Comment donc ! j’écouterais ce que bavarde Moscou ![1] — murmurait le lieutenant qui sentait un malaise moral, une sorte d’apathie et du vague dans les idées, suscités en lui par la vue de ce convoi de blessés et par les paroles du soldat, dont le bruit du bombardement augmentait l’importance. Il est drôle ce Moscou !… Va Nikolaïev !… Avance donc… quoi ! Es-tu endormi ? — ajouta-t-il en grondant un peu son brosseur et en réparant les pans de sa capote.

Les rênes s’agitèrent, Nikolaïev claqua des lèvres et le chariot roula plus rapidement.

— Nous n’arrêterons qu’un moment pour donner à manger au cheval, et immédiatement, aujourd’hui même, plus loin, en route, dit l’officier.

  1. Dans beaucoup de régiments d’infanterie, les officiers, moitié avec injure, moitié avec tendresse appellent le soldat Moscou ou, quelquefois, le Serment. (Note de l’auteur.)