Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/22

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évidemment, il ne s’égarera pas dans cette foule mélangée qui, pour lui, n’existe même pas, mais il accomplit sa besogne, quelle qu’elle soit — mener boire les chevaux ou traîner le canon — avec autant de calme, d’assurance et d’indifférence que si tout cela se passait quelque part à Toula ou à Saransk. Vous lisez la même expression sur le visage de cet officier ganté de gants d’une blancheur immaculée qui passe devant vous ; sur le visage de ce matelot qui fume en s’installant sur la barricade ; sur le visage des soldats, qui attendent avec des brancards sur le perron de l’ancien club ; sur le visage de cette fille qui, ayant peur de mouiller sa robe rose, traverse la rue en sautant sur les pierres.

Oui, un désenchantement vous attend absolument si vous entrez pour la première fois à Sébastopol. Vous chercherez en vain sur les visages les traces de la hâte, de l’effroi ou même de l’enthousiasme, des préparatifs de mort, de résolution, il n’y a rien de tout cela. Vous voyez des gens tranquillement à leurs affaires coutumières, de sorte que peut-être vous reprocherez-vous un enthousiasme trop grand, douterez-vous un peu de la justesse de l’idée de l’héroïsme des défenseurs de Sébastopol, qui s’est formée en vous d’après les récits, les descriptions et l’aspect et les bruits du côté Nord. Mais avant de douter, montez sur les bastions, regardez les défenseurs de Sébas-