Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/25

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principal, votre Seigneurie, c’est de ne pas penser, quand on ne pense pas, c’est comme de rien. Tout le mal vient de ce que l’homme pense.

Pendant ce temps, une femme en robe grise rayée, la tête enveloppée d’un châle noir, s’approche de vous. Elle se mêle à votre conversation avec le matelot. Elle se met à raconter ce qu’il a souffert, en quel état désespéré il se trouvait quatre semaines avant : qu’étant blessé il avait fait arrêter le brancard pour voir le coup de notre batterie, que les grands-ducs lui ont parlé et lui ont remis vingt-cinq roubles, et comment il leur répondit qu’il voulait retourner au bastion pour guider les jeunes si lui-même ne pouvait plus travailler. La femme dit tout cela d’un seul trait, sans s’interrompre et regarde tantôt vous, tantôt le matelot qui en se détournant et feignant de ne pas l’entendre, les yeux brillants d’un enthousiasme particulier, prépare de la charpie sur un oreiller.

— C’est ma femme, votre Seigneurie, — vous fait observer le matelot avec un air de dire : « Excusez-la, c’est connu, les femmes disent toujours des bêtises. »

Vous commencez à comprendre les défenseurs de Sébastopol, et devant cet homme vous avez honte de vous-même. Vous voulez lui dire trop pour lui exprimer votre sympathie et votre admiration, mais vous ne trouvez pas de paroles, ou vous