Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/388

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étrangement dans sa tête. Tantôt elle se revoyait valsant avec le vieux comte, elle voyait ses épaules rondes et blanches, y sentait des baisers ; puis c’était sa fille au bras du jeune comte. Oustuchka recommençait à ronfler…

« Non, maintenant ce n’est plus ça, les hommes ne sont pas les mêmes. L’autre se serait jeté au feu pour moi. Et il y avait de quoi. Et celui-ci dort comme un imbécile, content d’avoir gagné, et il ne fait pas la cour. Il arrivait à l’autre de dire, à genoux ? « Que veux-tu que je fasse, que je me tue tout de suite, » ou quelque autre chose, et il se serait tué si j’avais voulu. »

Tout à coup un bruit de pieds nus retentissait dans le couloir, et Lisa, un simple châle jeté sur ses épaules, toute pâle et tremblante, accourait dans la chambre et tombait presque sur le lit de sa mère. Après avoir souhaité le bonsoir à sa mère, Lisa s’était rendue dans la chambre de son oncle. Elle mit une camisole blanche, cacha dans un fichu sa longue tresse, éteignit sa chandelle et s’assit sur la fenêtre, les jambes sur une chaise, en fixant ses regards pensifs sur l’étang déjà tout brillant d’une lumière argentée.

Toutes ses occupations coutumières, tous ses intérêts, soudain, se montraient à elle sous un jour tout nouveau : sa vieille mère capricieuse, à qui en affection elle donnait une partie de son âme, l’oncle gâteux mais aimable, les domestiques, les paysans