Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/405

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’ouate sous l’aisselle, a élargi aux épaules pour dissimuler la poitrine juvénile, lui donner une ampleur majestueuse, hier seulement qu’il a pris cet uniforme, puis est allé chez le coiffeur faire friser et pommader ses cheveux, affermir avec un fixatif les petites moustaches à peine visibles, et en faisant résonner sur les marches son sabre retenu par un porte-épée en or, son bonnet de côté, s’est promené dans la rue. Ce n’est déjà plus lui qui se retourne pour ne pas laisser passer un officier, sans le saluer mais c’est lui que les subalternes voient de loin, alors que négligemment il touche sa visière, ou commande : « Libre ! »

Hier seulement, son chef, le général, lui a parlé sérieusement comme à un égal, et une brillante carrière militaire s’est offerte à lui, absolument sûre. Il semble qu’hier seulement sa vieille bonne était émerveillée de lui, que sa mère émue pleurait de joie en l’embrassant et le caressant, et que lui se sentait heureux et gêné ; hier seulement qu’il s’était rencontré avec une charmante demoiselle, qu’ensemble ils avaient causé de futilités, et que, chez tous deux, les lèvres se plissaient dans un sourire retenu ; et il savait qu’elle, et pas elle seule, mais des centaines d’autres et mille fois mieux qu’elle pouvaient et devaient l’aimer. Tout cela semblait être hier, et tout cela était non seulement mesquin et ridicule, mais aussi ambitieux ; et pourtant innocent et par suite charmant.