Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/83

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en rencontrant à chaque pas des blessés. Arrivé en haut de la montagne, il tourna à gauche, et faisant quelques pas se trouva tout à fait seul. Très près de lui un éclat bourdonna et frappa la tranchée.

Une autre bombe se souleva devant lui et semblait tomber droit sur lui. Soudain, il était saisi d’une peur terrible. En courant il fit cinq pas et tomba à terre. Quand la bombe eut éclaté et très loin de lui, il eut un grand dépit contre lui-même, il se leva et regarda s’il n’y avait pas là quelqu’un qui l’eût vu tomber. Mais il n’y avait personne.

Une fois que la peur a pénétré dans l’âme, elle ne cède pas vite la place à un autre sentiment. Lui qui se vantait toujours qu’il ne s’inclinerait jamais, à pas rapides et presqu’en grimpant, marchait dans la tranchée. « Ah ! c’est mal ! — pensa-t-il en glissant. — Je serai sûrement tué ». Sentant qu’il respirait difficilement et que la sueur couvrait tout son corps, il s’étonnait lui-même, mais déjà n’essayait plus de se vaincre.

Tout à coup, devant lui, des pas se firent entendre. Il se dressa rapidement, releva la tête et faisant sonner bravement son sabre, il marcha déjà moins vite que tout à l’heure. Il ne se reconnaissait pas. Quand il croisa un officier de sapeurs et un matelot, le premier lui cria : « À terre ! » en montrant le point lumineux de la bombe qui s’approchait de plus en plus vite en