Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/88

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Depuis déjà six mois, le capitaine commandait cette batterie, l’une des plus dangereuses, et même, quand il n’y avait pas de blindage, depuis le commencement du siège, sans sortir, il vivait au bastion, et avait, parmi les marins, une réputation de bravoure. C’est pourquoi Kalouguine était surtout frappé et étonné de son refus. « Ce que c’est que la réputation », — pensa-t-il.

— Eh bien alors, j’irai seul, si vous le permettez ? — dit-il au capitaine d’un ton un peu moqueur. Mais celui-ci cependant ne fit aucune attention à ces paroles.

Kalouguine ne comprit pas que lui, à divers moments, avait passé en tout cinquante heures aux bastions, tandis que le capitaine y vivait depuis six mois. En outre, Kalouguine était excité par la vanité, par le désir de briller, par l’espoir de la récompense et de la réputation, par le charme du risque, tandis que le capitaine avait déjà traversé tout cela : au commencement, il avait des ambitions, faisait le brave, se risquait, espérait obtenir des récompenses, la réputation et même en avait eu, mais maintenant, tous ces excitants avaient perdu pour lui de leur force, et il envisageait les choses tout autrement. Il faisait exactement son devoir ; mais se rendant très bien compte du peu de chances qu’il avait de conserver sa vie pendant un séjour de six mois au bastion, il ne risquait déjà plus ces chances sans stricte nécessité, de sorte