Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol7.djvu/416

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cible et il en éprouvait un grand bonheur[1].

Les Français étaient déjà tout près. Le prince André, qui marchait à côté de Bagration, distinguait nettement les épaulettes rouges et même les figures des Français. (Il voyait nettement un vieil officier français qui, les jambes arquées, dans des guêtres, gravissait la montagne avec de grands efforts.) Le prince Bagration ne donnait pas de nouvel ordre et, toujours en silence, marchait devant les rangs. Tout à coup, du côté des Français, éclata un coup, un deuxième, un troisième ; dans les rangs disloqués de l’ennemi se dispersait la fumée ; la fusillade commençait. Quelques-uns des nôtres tombèrent, de ce nombre l’officier au visage rond qui marchait si allègrement et avec tant de précaution. Au moment même où éclatait le premier coup, Bagration se tournait et criait : « Hourra ! » « Hourra ! » répondit un long cri parcourant toute notre ligne ; et, en dépassant le prince Bagration et se dépassant les uns les autres, nos soldats, en foule irrégulière, mais joyeuse et animée, coururent en descendant, derrière les Français dont les rangs étaient rompus.

  1. Ici se passa cette attaque dont Thiers a dit : « Les Russes se conduisaient vaillamment, et chose rare à la guerre, on vit deux masses d’infanterie marcher résolument l’une contre l’autre sans qu’aucune des deux cédât avant d’être abordée » ; et Napoléon à l’île de Sainte-Hélène a écrit : « Quelques bataillons russes montrèrent de l’intrépidité. » (Note de l’Auteur.)