Page:Tolstoï - Correspondance inédite.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ment dans mes bras. Jamais rien ne m’a fait une impression pareille. Il disait vrai qu’il n’y a rien de pire que la mort. Et quand on réfléchit bien qu’elle est la fin de tout, il n’y a rien de pire que la vie. Pourquoi travailler, s’esquinter, si de ce qui était Nicolas Nikolaievitch Tolstoï rien n’est resté ? Il ne disait pas qu’il sentait la mort venir, mais moi je savais qu’il la suivait pas à pas, et il savait certainement combien il lui restait à vivre. Quelques minutes avant de mourir il s’assoupit. Tout à coup il s’éveilla ; il se mit à murmurer avec horreur : « Mais qu’est-ce que c’est ? » Il l’avait aperçu cet engloutissement de son être dans le néant. Et si lui n’a rien trouvé où s’accrocher, que trouverai-je moi ? Encore moins. Et certainement que ni moi, ni personne, ne luttera autant que lui contre elle, jusqu’au dernier moment. Deux jours avant sa mort je lui disais : « Il faut te mettre les commodités dans ta chambre. »

— « Non, dit-il, je suis faible, mais pas à ce point. Nous lutterons encore. »

Jusqu’au dernier moment il ne céda pas. Il faisait tout lui-même ; il tâchait de travailler,