Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/257

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s’il fallait, oui ou non, les écouter ? Ils faisaient partie de la mise en scène générale : leur présence et celle de l’Empereur, parfaitement définies à leur point de vue, comme courtisans (et tous le deviennent dans l’intimité du Souverain), signifiaient clairement que, malgré le refus de ce dernier de prendre le titre de général en chef, le commandement des trois corps d’armée n’en était pas moins entre ses mains et son entourage représentait, par suite, son conseil immédiat et intime. Araktchéïew, le garde du corps de Sa Majesté, était également l’exécuteur de ses volontés ; Bennigsen, qui était grand propriétaire dans le gouvernement de Vilna, et qui semblait n’avoir eu d’autre souci que d’en faire les honneurs à son Souverain, jouissait d’une excellente réputation militaire, et on le gardait sous la main pour remplacer à l’occasion Barclay de Tolly. Le grand-duc y était pour son plaisir personnel ; l’ex-ministre Stein, comme conseiller, vu la haute estime que lui valaient ses qualités ; grâce à son assurance, et à la conviction qu’il avait de ses propres mérites, Armfeld, le haineux ennemi de Napoléon, était très écouté par Alexandre ; Paulucci faisait partie de la phalange, parce qu’il était hardi et décidé ; les aides de camp généraux, parce qu’ils suivaient l’Empereur partout, et enfin Pfuhl, parce qu’après avoir imaginé et fait le plan de campagne, il était parvenu à le faire accepter comme parfait dans son ensemble. C’était ce dernier en réalité qui menait la guerre. Woltzogen attaché à sa personne, plein d’amour-propre, de confiance en lui-même, et d’un mépris absolu pour toutes choses, n’était qu’un théoricien de cabinet, chargé de revêtir les idées de Pfuhl d’une forme plus élégante.

En dehors de tous ces hauts personnages, il y avait encore une quantité d’individus en sous-ordre, russes et étrangers, dépendant de leurs chefs respectifs : les étrangers se faisaient remarquer surtout par la témérité et la variété de leurs combinaisons militaires, conséquence toute naturelle du fait de servir dans un pays qui n’était pas le leur.

Au milieu du courant d’opinions si diverses qui agitait ce monde brillant et orgueilleux, le prince André ne tarda pas à constater l’existence de plusieurs partis qui se détachaient visiblement de la masse.

Le premier se composait de Pfuhl et de ses adhérents, les théoriciens de l’art de la guerre, ceux qui croyaient à l’existence de ses lois immuables, aux lois des mouvements obliques et des mouvements de flanc ; ceux-là voulaient que, conformément