Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/369

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« Douniacha ! murmura-t-elle d’abord, Douniacha ! » répéta-t-elle d’une voix rauque, avec un effort désespéré… et, s’arrachant brusquement à sa contemplation, elle s’élança à la rencontre de ses femmes, qui accouraient, effrayées, à son cri d’appel.


XIII

Le 17 du mois d’août, Rostow et Iline, accompagnés d’un planton et de Lavrouchka, renvoyé, comme on le sait, par Napoléon, se mirent en selle et quittèrent leur bivouac de Jankovo, situé à 15 verstes de Bogoutcharovo, pour essayer les chevaux qu’Iline venait d’acheter, et découvrir du foin dans les villages avoisinants. Depuis trois jours, chacune des deux armées était à une égale distance de Bogoutcharovo ; l’avant-garde russe et l’avant-garde française pouvaient donc s’y rencontrer d’un moment à l’autre : aussi, en chef d’escadron soigneux de la nourriture de ses hommes, Rostow désirait-il s’emparer le premier des vivres qui devaient probablement s’y trouver.

Rostow et Iline, de fort joyeuse humeur, se promettaient en outre de s’amuser avec les jolies femmes de chambre qui probablement étaient restées dans la maison du prince ; en attendant, ils questionnaient Lavrouchka sur Napoléon, riaient aux éclats de ses récits, et luttaient entre eux de vitesse, afin d’éprouver les mérites de leurs nouvelles acquisitions.

Rostow ne se doutait pas que le village dont il venait de traverser la grande rue appartînt à l’ancien fiancé de sa sœur. En le rejoignant, Iline lui fit de vifs reproches de l’avoir ainsi distancé.

« Quant à moi, s’écria Lavrouchka, si je n’avais craint de vous faire honte, j’aurais pu vous laisser tous les deux en arrière, car cette « française » (c’est ainsi qu’il appelait la rosse sur laquelle il était monté) est une merveille !… » Mettant leurs chevaux au pas, ils atteignirent la grange, autour de laquelle était rassemblée une foule de paysans.

Quelques-uns d’entre eux se découvrirent en les apercevant ; d’autres se bornèrent à les regarder avec curiosité. Deux grands vieux paysans, dont les visages ridés étaient ornés