Page:Tolstoï - Guerre et Paix, Hachette, 1901, tome 2.djvu/375

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— Nous avons suivi les conseils des anciens.

— Vous osez me répondre, tas de brigands ! s’écria Rostow en saisissant au collet le grand Karp.

— Holà, mes amis, garrottez-le ! »

Lavrouchka s’élança sur lui et s’empara de ses mains.

« Il faudrait que les nôtres, qui sont au bas de la montée, vinssent nous aider, dit-il.

— C’est inutile, » répondit Alpatitch, et, se tournant vers les paysans, il en appela deux par leur nom et leur commanda de détacher leurs ceintures pour lier les bras du prisonnier ; les paysans obéirent en silence.

— Où est le staroste ? » répétait Rostow.

Drone, le visage pâle et les sourcils froncés, se décida enfin à paraître.

« C’est toi ? Garrotte-le, lui aussi, Lavrouchka ! » s’écria Rostow avec autorité, comme si cet ordre ne pouvait rencontrer de résistance. Et en effet deux autres hommes du groupe s’approchèrent, et Drone dénoua lui-même sa ceinture pour se faire attacher les mains.

« Quant à vous, poursuivit Rostow, écoutez-moi tous… : vous allez retourner chez vous à l’instant, et que je n’entende plus un mot !

— Nous n’avons rien fait de mal, nous avons agi sottement, voilà tout !

— Je vous l’avais bien dit, c’était contre les ordres, murmurèrent plusieurs paysans à la fois, en s’adressant mutuellement des reproches.

— Je vous en avais prévenu, dit Alpatitch, qui se sentait rentrer en pleine possession de son droit : c’est mal, très mal à vous, mes enfants !

— Oui, Jakow Alpatitch, la sottise est de notre côté, » lui répondit-on, et la foule se sépara tranquillement.

Chacun regagna son logis pendant qu’on emmenait les prisonniers dans la cour de l’habitation de la princesse Marie ; les deux ivrognes les suivirent :

« Cela te va bien, disait l’un d’eux à Karp, je vais te regarder à mon aise !… A-t-on jamais vu parler ainsi aux maîtres, à quoi songeais-tu ?

— Tu es un imbécile, voilà tout, un imbécile ! » répétait le second d’un air gouailleur.

Deux heures plus tard, les chariots pour le bagage étaient attelés, et les paysans transportaient et emballaient les effets