Page:Tolstoï - La Fin de notre ère.djvu/19

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Mikado déifié, les forces des Japonais sont plus concentrées, plus unies que celles des peuples libérés de leur soumission servile.

En un mot, les Japonais avaient et ont une immense supériorité : ils ne sont pas chrétiens.

Le christianisme, quelque déformé qu’il soit parmi les peuples chrétiens, vit, bien que vaguement, dans leur conscience, et les chrétiens, en tout cas les meilleurs d’entre eux, ne peuvent plus consacrer toutes leurs forces spirituelles à inventer et fabriquer des armes de meurtre. Il leur est impossible de ne pas envisager plus ou moins négativement le patriotisme militaire et, comme le font les Japonais, s’ouvrir le ventre pour ne pas tomber entre les mains du vainqueur, ou se faire sauter avec l’ennemi, comme cela se fit jadis. Ils n’apprécient plus comme autrefois les vertus militaires, les exploits guerriers et respectent de moins en moins la classe militaire. Ils ne peuvent déjà plus, sans y trouver une atteinte à la dignité humaine, se soumettre servilement au pouvoir et, principalement, au moins la majorité, commettre indifféremment le meurtre.

Jamais, même dans les branches de l’activité pacifique qui ne sont pas d’accord avec l’esprit du christianisme, les peuples chrétiens n’ont pu soutenir la lutte avec les non-chrétiens. Ce fut et c’est encore ainsi, dans la lutte d’argent, avec ces derniers.

Le christianisme, quelque mal interprété, quelque déformé qu’il soit, le chrétien, — et plus il est chrétien, plus est développée en lui cette particularité, — reconnaît que la richesse n’est pas le bien supérieur ; c’est pourquoi il n’y peut consacrer toutes ses forces, comme le fait celui qui n’a pas d’idéal supérieur à l’argent ou qui regarde