Page:Tolstoï - La Fin de notre ère.djvu/49

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substituant une large frontière extérieure aux petites, diminue par cela même les luttes sanglantes et le fléau de la guerre. Mais cette affirmation est absolument arbitraire, puisque personne n’a pesé la quantité de mal dans l’une et l’autre situation ; et il est difficile de penser que toutes les guerres de la période apanagée, en Russie, de Bourgogne, de Flandre, de Normandie, en France, aient fait autant de victimes que celles de Napoléon, d’Alexandre, que la guerre japonaise qui vient de se terminer.

La seule justification de l’agrandissement d’un État serait la formation d’une monarchie universelle dont l’existence détruirait la possibilité des guerres. Mais toutes les tentatives pour établir une pareille monarchie, depuis Alexandre de Macédoine et l’Empire romain jusqu’à Napoléon, n’atteignirent jamais le but de pacification ; au contraire elles furent la cause des maux les plus grands pour les peuples. De sorte que la pacification ne peut être atteinte par l’agrandissement et l’augmentation de force des États. Elle ne peut l’être que par la chose inverse : la destruction des États avec leur pouvoir de violence. Il existait des superstitions cruelles et pernicieuses, les victimes humaines, les bûchers pour la sorcellerie, les guerres de religion, les tortures… Et les hommes se sont affranchis de ces superstitions. Mais la superstition de l’État, comme une chose sacrée, continue à régner sur les hommes ; on lui apporte des sacrifices encore plus cruels et plus pernicieux qu’à toutes les précédentes. Le fond de cette superstition est de convaincre les hommes de divers pays, de diverses mœurs, de divers intérêts, que tous ne font qu’un parce que la même violence s’exerce