Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/53

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leur bétail.) Et pourtant toute notre existence est organisée de façon que chaque jouissance personnelle s’achète au prix de souffrances humaines contraires à la nature de l’homme.

On n’a qu’à étudier le mécanisme compliqué de nos institutions basé sur la coercition, pour se convaincre à quel point la coercition ou la violence est contraire à la nature humaine. Pas un juge ne se décidera à pendre de sa main celui qu’il a condamné selon l’article du code. Pas un employé ne se décidera à enlever un villageois à sa famille éplorée pour le jeter en prison. Pas un général, pas un soldat s’il n’est pas encore façonné par la discipline, le serment et la guerre, non seulement ne tuera pas une centaine de Turcs ou d’Allemands, ni ne détruira leurs villages, mais ne se décidera même pas à blesser un seul homme. Tout cela se fait uniquement grâce à cette machine gouvernementale et sociale dont la tâche consiste à morceler la responsabilité des méfaits qui se commettent, de façon que personne ne sente à quel point ces actes sont contraires à sa nature. Les uns rédigent des lois ; les autres les appliquent ; les troisièmes endurcissent les gens à la discipline, c’est-à-dire à l’obéissance irréfléchie et passive ; les quatrièmes, ces mêmes gens déjà endurcis, se font les instruments de toute espèce de coercition, et tuent leurs semblables sans savoir ni dans quel but ni pour quel motif. Mais il suffit qu’un homme se dégage pour un instant de ce réseau embrouillé pour comprendre ce qui est contraire à sa nature.

Abstenons-nous d’affirmer que la violence organisée, dont nous faisons usage à notre profit, est la vérité di-