Page:Tolstoï - Quelle est ma vie ?.djvu/87

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mais elle produisit, sur moi, un effet tout différent.

Je trouvai dans un logement un malheureux qui devait être secouru immédiatement. Je trouvai aussi une femme qui n’avait pas mangé depuis deux jours.

Dans un vaste asile de nuit, presque vide, je demandai à une vieille, si elle connaissait des gens pauvres qui eussent faim ? La vieille réfléchit un moment et me nomma deux personnes. Puis, aprés s’étre creusé la tête, elle me dit soudain, en regardant fixement un lit occupé : « Tiens, mais ici, je crois qn’il y a une femme qui n’a pas mangé. » — « Pas possible ! Mais quelle est cette femme ? »

— « C’était une fille de joie ; à présent elle ne trouve plus de clients et n’a pas de quoi vivre. La maîtresse de l’asile avait d’abord pitié d’elle ; elle veut, aujourd’hui, la mettre à la porte. — « Agafia ! (Agathe) Agafia ! » cria la vieille.

Nous nous approchâmes, et quelqu’un se leva du lit. C’était une femme aux cheveux grisonnants, ébouriffés ; elle était maigre comme un squelette, vêtue d’une chemise déchirée ; elle écarquillait ses grands yeux brillants et fixes. Elle paraissait nous regarder sans nous voir et