Page:Tolstoï - Résurrection, trad. Wyzewa, 1900.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
148
RÉSURRECTION

et les prisonniers de la cour. On l’appelait la Beauté, à cause de sa laideur. Derrière elle, une autre femme, maigre et osseuse et de mine pitoyable, une malheureuse condamnée pour recel d’objets volés, restait debout, sans rien dire, se bornant parfois à sourire d’un air approbateur aux grossièretés qu’elle entendait. Et il y avait là encore une quatrième détenue, condamnée pour vente frauduleuse d’eau-de-vie. C’était elle qui était la mère du petit garçon qui jouait avec la bossue, et aussi d’une petite fille de sept ans, qu’on avait autorisée également à vivre dans la prison avec sa mère, faute de savoir à qui la confier. La petite fille se tenait près de sa mère, et prêtait une attention recueillie aux propos obscènes qui s’échangeaient par la fenêtre. Elle était délicate et fine, avec des yeux bleus charmants, et deux nattes de cheveux presque blancs tombant sur son dos.

Enfin, la douzième des prisonnières était une fille de diacre, coupable d’avoir noyé dans un puits son enfant nouveau-né. C’était une grande et forte fille, blonde, avec des cheveux en désordre et des yeux ronds au regard immobile. Celle-là ne cessait pas de marcher de long en large, dans l’espace libre entre les lits, ne voyant personne, ne parlant à personne, et se bornant à pousser une sorte de grognement inarticulé chaque fois qu’elle arrivait auprès du mur et se retournait.


III


Quand la porte s’ouvrit pour donner passage à la Maslova, la fille du diacre interrompit, pour une minute, sa promenade à travers la salle, et, relevant les sourcils, considéra la nouvelle venue ; après quoi, sans rien dire, elle se remit à marcher de son pas décidé. La Korableva piqua son aiguille dans le sac qu’elle cousait, et, regardant la Maslova par-dessus ses lunettes, d’un air interrogateur :

— La voilà ! — s’écria-t-elle de sa voix de basse. —