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RÉSURRECTION

Et de nouveau toutes deux se turent. Mais d’instant en instant un court échange de menaces et d’injures revenait entrecouper le silence de la salle endormie.

Toutes les prisonnières étaient couchées, quelques-unes ronflaient déjà. Seules la vieille bossue et la fille du diacre restaient sur leurs pieds. La vieille, qui priait toujours très longtemps, continuait à faire des salutations devant l’icône ; la fille du diacre, aussitôt après le départ de la surveillante, s’était relevée de son lit et avait repris sa marche de long en large, à travers la pièce.

La Maslova ne pouvait pas s’endormir. Elle pensait sans cesse à ce fait, qu’elle était maintenant un « gibier de bagne ». Deux fois déjà, depuis quelques heures, on l’avait appelée de ce nom : la Botchkova, au Palais de Justice, et, tantôt, la femme rousse ! Elle ne parvenait pas à se faire à cette pensée.

Le Korableva, qui d’abord lui avait tourné le dos pour dormir, se retourna brusquement.

— Et moi qui n’ai rien fait ! — dit tout bas la Maslova. — Les autres font le mal et on ne leur dit rien ; et moi, il faut que je sois perdue sans avoir rien fait !

— Ne te tourmente pas, ma fille ! En Sibérie aussi on vit ! Tu n’y périras pas ! — lui répondit la Korableva pour la consoler.

— Je sais bien que je n’y périrai pas ; mais c’est la honte qu’il y a ! Ce n’est pas à cette destinée-là que je m’étais attendue ! Et moi qui étais habituée à vivre dans le luxe !

— Contre Dieu, personne ne peut aller, — reprit la Korableva avec un soupir. — Contre lui, personne ne peut aller.

— Je le sais, petite tante, mais tout de même c’est dur !

Elles se turent.

La femme rousse, non plus, ne dormait pas.

— Écoute ! C’est cette ordure ! — reprit après un instant la Korableva, en signalant à sa voisine un bruit étrange, qui venait jusqu’à elles de l’autre extrémité de la salle.