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RÉSURRECTION

nourrices, assises en groupes sur les bancs, bavardaient en riant aux éclats. Et de toutes parts dans les rues, se mêlant au bruit des charrettes sur le pavé, retentissaient le son et l’écho des cloches, convoquant la foule à assister à un service divin tout pareil à celui qui se célébrait dans la chapelle de la prison. Et de rares passants, endimanchés, prenaient le chemin de l’église de leur paroisse.

La prison, quand Nekhludov y arriva, était encore fermée.

Sur une petite place, à une centaine de pas de la porte, se tenait un groupe d’hommes et de femmes, la plupart portant des paquets à la main. À droite de la place s’étendait une construction basse en bois, à gauche se dressait un édifice à deux étages, avec une enseigne. Au fond se voyait l’énorme entrée de pierre de la prison, dont un soldat, le fusil sur l’épaule, défendait l’approche.

Devant le guichet de la baraque en bois, un gardien était assis, vêtu d’un uniforme galonné, et tenant un registre sur ses genoux. C’est à lui que s’adressaient les visiteurs pour faire inscrire les noms des prisonniers qu’ils désiraient voir.

Nekhludov s’approcha de lui et nomma : « La femme Catherine Maslov. »

— Pourquoi ne laisse-t-on pas entrer ? — demanda-t-il.

— On est en train de dire la messe, — répondit le gardien. — Aussitôt la messe finie, vous pourrez entrer.

Nekhludov se rapprocha du groupe des visiteurs. Au même instant se détacha de ce groupe et se glissa jusqu’à la porte de la prison un homme vêtu de haillons, les pieds nus, avec tout le visage rayé de sillons rouges.

— Dis donc, toi, où vas-tu ? — lui cria le soldat en portant la main à son fusil.

— Et toi, qu’est-ce que tu as à brailler comme ça ? — répondit l’homme en revenant lentement sur ses pas, sans s’émouvoir le moins du monde du cri du soldat. — Tu ne veux pas me laisser entrer ? C’est bon, j’attendrai ! Mais a-t-on vu brailler comme ça, comme si monsieur était un général !