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RÉSURRECTION

Il s’approcha de la porte et jeta un coup d’œil dans la salle.

Un groupe d’une quarantaine d’hommes, tous en tenue de prison, entourèrent Nekhludov et le sous-directeur. Plusieurs élevèrent la voix en même temps. Enfin, l’un d’eux, un robuste paysan déjà grisonnant, prit sur lui de parler au nom de ses compagnons. Il expliqua qu’on les avait mis en prison parce qu’ils n’avaient pas de passeports. En réalité, cependant, ils avaient des passeports, mais qui se trouvaient périmés depuis quinze jours. Cela arrivait tous les ans, d’avoir ainsi des passeports périmés, et jamais on ne disait rien, tandis que cette fois on les avait tous arrêtés, et depuis deux mois on les tenait en prison comme des criminels !

— Nous sommes tous carriers, et de la même équipe. Nous sommes venus tous ensemble travailler par ici. On dit que, dans notre gouvernement, la prison a brûlé. Mais nous n’en sommes pas cause, ce n’est pas nous qui l’avons brûlée. Pour l’amour de Dieu, faites quelque chose pour nous !

Nekhludov écoutait ce discours un peu distraitement, car son attention était attirée, malgré lui, par la vue d’un énorme pou gris qui, sorti des cheveux du brave carrier, lui courait sur la joue.

— Est-ce possible ? — demanda de nouveau Nekhludov au sous-directeur, en se détournant.

— Hé ! que voulez-vous ? La loi ordonne de les réexpédier dans leur gouvernement pour y être jugés ! Le sous-directeur avait à peine fini de parler quand un petit homme, se détachant du groupe, prit à son tour la parole pour se plaindre de la façon dont les gardiens les tourmentaient sans motifs.

— On nous traite plus mal que des chiens !… — déclara-t-il.

— Allons ! allons ! il ne faut pas non plus abuser de notre indulgence ! — dit le sous-directeur. — Tais-toi, ou, sans cela, tu sais…

— Qu’est-ce que j’ai à savoir ? — répliqua le petit