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RÉSURRECTION

— Ravi de vous voir ! Votre mère et moi avons été d’excellents amis. Je vous ai vu tout enfant, et, plus tard, officier. Allons, asseyez-vous, dites-moi en quoi je puis vous servir !

Nekhludov lui raconta l’histoire de Fédossia.

— Fort bien, fort bien ! Je vois ce que c’est ! — dit le vieillard. — C’est en effet bien touchant. Avez-vous rédigé un recours en grâce ?

— Oui, j’en ai préparé un ! — répondit Nekhludov en tirant le papier de sa poche. — Mais j’ai voulu vous voir pour vous prier d’accorder à cette affaire une attention spéciale.

— Et vous avez fort bien fait ! Je m’occuperai de l’affaire moi-même. L’histoire est vraiment très touchante, — poursuivit le baron en gardant sa mine la plus épanouie. — Je vois la chose. Cette malheureuse était une enfant, son mari l’aura affolée par sa grossièreté ; et puis tous les deux se seront repentis et pris d’amour l’un pour l’autre. Oui, je m’occuperai moi-même de l’affaire.

— Le comte Ivan Mikaïlovitch m’a d’ailleurs promis que, de son côté, il demanderait…

Mais à peine Nekhludov eut-il prononcé ces mots que le visage du baron changea d’expression.

— Au reste, — déclara-t-il froidement à Nekhludov, — déposez votre recours dans les bureaux, et je ferai ce que je pourrai !

Nekhludov sortit et se rendit dans les bureaux, pour déposer la requête. Là encore, comme au Sénat, il vit une foule de fonctionnaires, d’employés, de gardiens, tous remarquablement propres et polis.

« Combien il y en a, et comme ils ont l’air bien nourris, et comme ils sont luisants, et cirés, et vernis ! Mais à quoi peuvent-ils bien servir ? » — se demandait Nekhludov en les considérant.