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RÉSURRECTION

tion était, en revanche, particulièrement digne d’intérêt.

La seconde espèce comprenait des hommes condamnés pour des crimes qu’ils avaient commis dans des circonstances exceptionnelles, telles que la fureur, la jalousie, l’ivresse, etc., pour des crimes que les juges de ces hommes, très vraisemblablement, auraient commis comme eux dans les mêmes circonstances. Ces détenus-là étaient, en proportion, très nombreux : la moitié environ du total des détenus, d’après ce que Nekhludov avait pu calculer.

Dans le troisième groupe se trouvaient des hommes condamnés pour avoir accompli des actes qui, à leurs yeux, n’avaient rien de coupable, mais qui passaient pour des crimes aux yeux des hommes chargés de rédiger et d’appliquer les lois. Tels des détenus accusés de vente prohibée d’eau-de-vie de contrebande, de vol d’herbe ou de bois dans les propriétés privées ou publiques, etc.

La quatrième classe de criminels comprenait tous ceux qui avaient été condamnés, simplement, parce qu’ils étaient d’une valeur morale supérieure à la moyenne de la société. Tels les membres de diverses sectes religieuses, tels aussi les Polonais, les Tcherkesses, condamnés pour avoir défendu leur indépendance ; tels les détenus politiques, condamnés pour insubordination à l’autorité.

Enfin la cinquième espèce d’hommes était faite de malheureux à l’égard desquels la société était infiniment plus coupable qu’ils n’étaient eux-mêmes coupables à l’égard de la société. C’étaient des hommes que la société avait abandonnés, qu’avait abrutis une incessante oppression, des hommes du genre du jeune garçon aux balais, et de cent autres misérables que les conditions de leur vie avaient conduits, pour ainsi dire systématiquement, à commettre l’acte considéré comme criminel. Il y avait dans la prison beaucoup de voleurs et de meurtriers qui appartenaient à cette catégorie, Nekhludov rattachait aussi à la même catégorie ces hommes foncièrement et naturellement pervertis qu’une nouvelle école nomme les « criminels-nés », et dont l’existence