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RÉSURRECTION

matin ; le soir, en rentrant, ils nous apprirent qu’on les avait condamnés à mort. Personne ne s’était attendu à cela. Ils avaient bien essayé de résister, quand on les avait rattrapés, mais ils n’avaient blessé personne. Et puis jamais l’idée ne nous serait venue que l’on pût condamner à mort un enfant, comme était ce Rosenberg. Aussi fûmes-nous d’avis, dans toute la prison, que la condamnation n’avait eu pour objet que de les effrayer et ne recevrait pas son exécution. L’émotion que nous avait causé cet événement finit donc par se calmer, et notre vie recommença comme par le passé.

« Mais voilà qu’un soir le gardien s’approche de moi et m’annonce, en grand mystère, que les ouvriers sont venus préparer la potence. Je restai d’abord sans comprendre. La potence ? Quelle potence ? Et le vieux gardien paraissait si ému que, en relevant les yeux sur lui, je compris tout. J’aurais voulu faire des signaux, prévenir mes camarades, mais je craignis que mes deux voisins ne m’entendissent. D’ailleurs mes camarades devaient être prévenus, eux aussi, car, dans les corridors et les cellules, un silence de mort s’était fait tout à coup. Personne n’eut l’idée, ce soir-là, de chanter, ni même de parler.

« Vers dix heures, le vieux gardien vint de nouveau à moi et m’apprit que le bourreau allait arriver de Moscou. Il me dit cela, et s’éloigna. Je le rappelais, pour lui demander d’autres renseignements, lorsque j’entendis Rosenberg me crier de sa cellule : « — Qu’est-ce que c’est ? Pourquoi l’appelez-vous ? » Je lui répondis que c’était pour avoir du tabac ; mais évidemment Rosenberg se doutait de quelque chose, car il me demanda ensuite, d’une voix agitée, pourquoi on n’avait pas chanté et pourquoi on ne disait rien. Je ne me rappelle plus ce que je lui répondis, mais je sais que je fis semblant de m’endormir, pour couper court à cet entretien.

« Je ne dormis point, cependant, de toute la nuit. Une nuit épouvantable ! Jamais je ne pourrai en oublier l’horreur. Je restai immobile sur mon lit, guettant le moindre