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RÉSURRECTION

Nekhludov ; et, tout de suite, il se remit à souffler dans le samovar.

Dans la pièce où entra Nekhludov, une grande salle à manger qu’éclairait une lampe suspendue au plafond, le chef du convoi était assis devant une table déjà à demi desservie. C’était le même gros homme rouge à la longue moustache blonde, qui, le matin, avait démoli d’un coup de poing le visage du forçat. Pour se mettre à l’aise, il avait déboutonné sa veste à brandebourgs, et, sous sa chemise déboutonnée, montrait à découvert son cou et sa poitrine. La salle à manger, trop chauffée, était remplie d’une insupportable odeur de tabac et d’eau-de-vie.

En apercevant Nekhludov, l’officier se souleva de sa chaise.

— Qu’y a-t-il à votre service ? — demanda-t-il.

Et, sans attendre la réponse, il cria vers l’antichambre :

— Bernov ! Eh ! bien, et ce samovar, est-ce pour aujourd’hui ?

— Tout de suite, Votre Excellence !

— Attends un peu, je t’en donnerai, moi, des tout de suite !

— Voici, Votre Excellence ! — dit humblement le soldat en apportant le samovar.

Quand l’officier eut mis le thé dans le samovar, il tira du buffet un flacon de cognac et une boîte de biscuits. Puis, se retournant de nouveau vers Nekhludov :

— En quoi puis-je vous servir ?

— Je voudrais vous demander l’autorisation de m’entretenir avec une prisonnière, — dit Nekhludov, toujours debout.

— Une « politique » ? C’est défendu par la loi ! — déclara l’officier.

— Cette femme n’est pas une condamnée politique, — dit Nekhludov.

— Mais, je vous en prie, asseyez-vous donc !

Nekhludov s’assit.

— Elle n’est pas une condamnée politique, — reprit-il ; — mais, sur ma demande, l’autorité supérieure lui a permis de loger avec les « politiques ».