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RÉSURRECTION

— Je l’ai versée dans un verre, et puis il l’a bue.

— Et pourquoi la lui avez-vous donnée ?

— Mais pour me délivrer ! — dit-elle avec un sourire gêné.

— Comment ! Pour vous délivrer ? — fit le président, souriant aussi.

— Eh bien, pour me délivrer ! Il ne voulait pas me lâcher. Alors je suis sortie dans le corridor et j’ai dit à Simon Mikaïlovitch : « S’il pouvait me laisser partir ! »

La Maslova s’arrêta un instant. Puis elle reprit :

— Et Simon Mikaïlovitch m’a dit : « Nous aussi, il nous ennuie. Donnons-lui une poudre pour s’endormir, et vous pourrez vous en aller ! » Et, moi, j’ai cru que c’était une poudre qui ne faisait pas de mal. Je l’ai prise pour la verser dans son verre. Quand je suis rentrée, le marchand était couché dans l’alcôve, et tout de suite il m’a commandé de lui apporter du cognac. Alors j’ai pris sur la table la bouteille de fine champagne, j’ai rempli deux verres, pour moi et pour lui, et dans son verre j’ai versé la poudre, et je la lui ai apportée. Et moi, je croyais que c’était de la poudre pour dormir, et qu’il allait s’endormir ; mais à aucun prix je ne lui en aurais donné si j’avais su…

— Eh bien ! comment êtes-vous entrée en possession de la bague ? — demanda le président. — Quand vous l’a-t-il donnée ?

— Quand je suis arrivée dans sa chambre, je voulais m’en aller, alors il m’a frappée sur la tête, il m’a cassé mon peigne. Je me suis mise à pleurer ; et lui, il a retiré sa bague de son doigt et m’en a fait cadeau pour que je ne m’en aille pas.

À cet instant, le substitut se souleva de nouveau et demanda la permission de poser encore quelques questions.

— Je voudrais savoir, — dit-il d’abord, — combien de temps la prévenue est restée dans la chambre du marchand Smielkov ?

De nouveau une terreur subite s’empara de la Maslova. Promenant son regard inquiet du substitut sur le président, elle répondit, très vite :