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XVIII.

Il suffit que les gens comprennent que ce qui leur est énoncé comme opinion publique, et est entretenu par des moyens si complexes, énergiques et artificiels, n’est pas l’opinion publique, mais seulement le résultat sans vie de ce qui était jadis l’opinion publique[1] ; et ce qui est plus important, il suffit qu’ils aient foi en eux-mêmes, qu’ils croient que ce dont ils sont conscients dans le fond de leurs âmes, ce qui insiste en chacun pour être exprimé, et n’est pas exprimé seulement parce que ça contredit l’opinion publique présumé exister, est le pouvoir qui transforme le monde, et dont l’expression est la mission de l’humanité : il suffit de croire que la vérité n’est pas ce dont parlent les hommes, mais ce qui est dit par sa propre conscience, c’est-à-dire par Dieu, — et toute l’opinion publique entretenue artificiellement disparaîtra tout de suite, et une nouvelle et véritable sera établie à sa place.

Si seulement les gens disaient ce qu’ils pensent, et non ce qu’ils ne pensent pas, toute la superstition provenant du patriotisme diminuerait immédiatement, tout autant que les sentiments cruels et la violence qui se basent sur elle. La haine et l’animosité entre les nations et les peuples, attisées par leurs gouvernements, cesseraient ; il en serait fini de l’exaltation de l’héroïsme militaire, c’est-à-dire du meurtre ; et ce qui est essentiel, le respect pour les autorités, le fait de leur abandonner les fruits de son travail et de s’y subordonner cesseraient, puisqu’il n’ont d’autres raison d’être que le patriotisme.

Et s’il arrivait seulement cela, la foule immense des gens faibles qui sont contrôlés selon les apparences oscillerait en même temps du côté de la nouvelle opinion publique, qui règnerais désormais à la place de la vieille.

Que le gouvernement garde les écoles, Église, presse, ses milliards de deniers et millions d’hommes en armes transformés en machines : toute cette organisation apparemment terrible de force brute est comme rien comparée à la conscience de la vérité, qui s’élève dans l’âme d’un homme qui connaît la force de la vérité, qui est communiquée de lui à un autre et à un troisième, comme une chandelle en allume une quantité innombrable d’autres. La lumière n’a qu’à être allumée, et cette organisation qui semble si puissance fondra et sera consumée comme la cire en face du feu. Que les hommes comprennent seulement l’immense pouvoir qui leur est accordé dans la parole qui exprime la vérité ; qu’ils refusent seulement de vendre leur droit d’aînesse pour un plat de lentilles ; que les gens utilisent seulement leur force, — et leurs dirigeants n’oseront pas, comme maintenant, menacer les hommes de massacre universel, auquel ils peuvent ou non les assujettir, à leur discrétion, et n’oseront pas non plus tenir des revues militaires et des manœuvres de meurtriers disciplinés devant les yeux d’une population paisible[2] ; les gouvernements n’oseraient pas non plus, à leur propre profit et à l’avantage de leurs assistants, disposer et déranger les accords douaniers, ni percevoir du peuple ces millions de deniers qu’ils distribuent parmi leurs assistants, et avec l’aide de qui leurs meurtres sont planifiés.

Et une telle transformation n’est pas seulement possible, mais il est tout aussi impossible qu’elle ne soit pas accomplie qu’un arbre sans vie et pourrissant ne tombe pas, et qu’un plus jeune prendre sa place.

« Je vous laisse la paix, c’est ma paix que je vous donne ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Ne soyez pas inquiets, ne soyez pas effrayés, » dit Christ. Et cette paix est vraiment parmi nous, et dépend de nous pour sa réalisation. Si seulement les cœurs des individus n’étaient pas troublés par les séductions avec lesquelles ils sont séduits à tout heure, et n’avaient pas peur de ces terreurs imaginaires avec lesquelles ils sont intimidées ; si les gens savaient seulement en quoi consiste leur pouvoir le plus essentiel, qui conquiert tout,- une paix que les hommes ont toujours désirée, non la paix réalisable par des négociations diplomatiques, marches royales et impériales, dîners, discours, canons, dynamite et mélinite, par l’épuisement des gens sous les taxes, et l’enlèvement de la fleur du travail de la population, mais la paix réalisable par une profession volontaire de la vérité par chaque homme, aurait été établie depuis longtemps parmi nous.

29 mars, 1894

  1. Le terme « propagande » a été popularisé au cours du vingtième siècle. Ce phénomène a été étudié, dans le cas de la politique américaine et jusqu’à aujourd’hui, par N. Chomsky, dont plusieurs des constations sont pareilles à celles de Tolstoï cent ans plus tôt. Voici quelques extraits de « Les exploits de la propagande » (In Propagande, médias et démocratie, Éd. Écosociété, 2000) mis en parallèle avec l’essai Patriotisme et Christianisme de Tolstoï : -

    Chomsky constate en 2000 que « la propagande est à la société démocratique ce que la matraque est à l’état totalitaire, » il dément la thèse générale selon laquelle «  le peuple doit être exclu de la gestion des affaires qui le concernent et les moyens d’information doivent être étroitement et rigoureusement contrôlés, » et il conclut : « Il s’agit de savoir si nous voulons vivre dans une société libre ou bien dans ce qui est ni plus ni moins qu’une forme de totalitarisme, un totalitarisme dans lequel le troupeau dérouté est à dessein dévié de sa route et erre, terrifié, en hurlant des slogans patriotiques, en craignant pour sa vie… pendant que les gens instruits obéissent au doigt et à l’œil… Nous sommes en train de devenir un État mercenaire, » - ce qui est vrai des États-Unis l’est aussi de plusieurs autres pays, même à une moindre échelle - ; Tolstoï écrit en 1894 : «  le patriotisme n’est rien d’autre que, pour les dirigeants, un moyen de satisfaire leurs ambitions et désirs de convoitise, et pour les dirigés, l’abdication de la dignité humaine, de la raison et de la conscience, et une fascination servile pour ceux qui sont au pouvoir » (Chap. XIV).

    « Une Démocratie pour Spectateurs ; fabriquer le consentement, c’est-à-dire obtenir l’adhésion de la population à des mesures dont elle ne veut pas, grâce à l’application des nouvelles techniques de propagande… (…) lorsqu’elle est appuyée par les classes cultivées et qu’aucune dissidence n’est permise, la propagande de l’État peut avoir des effets considérables. La propagande est à la société démocratique ce que la matraque est à l’état totalitaire » ; L’ensemble des festivités (Chap. I, II) et leur organisation (Chap. XII) ; la collaboration des journaux (Chap. I, V, VI, VII, XII, XV) ; l’implication des églises (Chap. II, VII) ; l’enseignement (Chap. V) ; les protestations étouffés ou cachées (Chap. II) ; le rôle des classes supérieures (Chap. IV, X) ; les chansons, monuments (Chap. XII), etc.

    « Falsifier l’Histoire ; C’est une autre façon de vaincre les inhibitions maladives. Quand nous agressons et détruisons quelqu’un, il faut faire croire que nous nous protégeons et nous défendons contre des agresseurs redoutables, des monstres, etc. (…) Qu’il s’agisse du Proche-Orient, du terrorisme international ou de l’Amérique [latine], l’image du monde présentée à la population n’offre qu’une très lointaine ressemblance avec la réalité. La vérité est profondément enfouie sous les couches accumulées de mensonges » ; Les discours officiels (Chap. IV) ; l’enseignement (Chap. V), la presse, etc.

    Et : « Le message passe comme une lettre à la poste quand le système d’éducation et les médias sont contrôlés dans leur totalité et que les érudits sont des conformistes » ; « C’est comme s’il y avait des filets tendus à l’entrée de l’éducation, dans lesquels étaient attrapés inévitablement ceux qui échappent par quelques moyens des masses accablées par le travail » (Chap. XV).

    « Fabriquer l’Opinion ; Généralement, la population est pacifiste, tout comme elle l’était au moment de la Première guerre mondiale. Le peuple n’a aucune raison de s’engager dans des interventions militaires à l’étranger, des tueries et des tortures Il faut donc le mobiliser et pour le mobiliser, il faut l’effrayer ; si l’on veut disposer une société violente qui sache utiliser la force dans le monde entier afin d’atteindre les objectifs de son élite, il est nécessaire de cultiver les valeurs martiales et non l’inhibition maladive de l’usage de la violence » ; L’ensemble des festivités (Chap. I, II) ; « C’est pour faire de vous de bons soldats que votre professeur vous enseigne l’histoire… » (Chap. V) ; « Le pouvoir des gouvernements est maintenu par l’opinion publique, et les gouvernements, avec ce pouvoir, à l’aide de ses organes,- ses fonctionnaires, tribunaux, écoles, églises, même la presse,- peuvent toujours maintenir l’opinion publique dont ils ont besoin » (Chap. XVI).

    Et aussi : « …bien que l’opinion en faveur de dépense dans le domaine social plutôt que…l’armement puisse se révéler largement majoritaire dans les sondages, tant que les gens qui ont cette opinion sont marginalisés, assujettis aux moyens conçus pour les distraire et privés de tout moyen de s’organiser et de faire valoir leur opinion, au point d’ignorer dans leur isolement que d’autres partagent leur point de vue, ils ne peuvent échapper au sentiment qu’ils sont bien les seuls à qui une idée aussi saugrenue puisse venir à l’esprit (…) vous vous dites que vous êtes un excentrique, un drôle d’oiseau. Vous vous retranchez dans votre tour d’ivoire et vous ne vous intéressez plus à ce qui se passe, » ; « Les gens doivent rester assis devant le téléviseur, isolés les uns des autres, et se mettre dans le crâne le message qui leur dit que la seule ambition respectable dans la vie est d’acquérir davantage de biens matériels ou de vivre comme ces familles aisées de la classe moyenne que montre la télévision…On peut se dire dans son for intérieur qu’il doit bien y avoir quelque chose de plus dans la vie, mais, seul devant son téléviseur, que peut-on conclure, sinon qu’il faut être fou pour penser ainsi puisque la télévision ne montre rien d’autre ? » ; « On dirait que celui qui exprime sincèrement sa pensée doive rester seul, tandis qu’il arrive généralement que tous les autres, ou au moins la majorité, pensait et ressentait la même chose mais sans l’exprimer » (Chap. XVII)

    Et encore : « Il faut le distraire. Il faut qu’il regarde [les sports], les comédies (…) et les films violents. (…) Il importe aussi de l’effrayer, car faute d’être hanté par toutes sortes de peurs et de démons qui menacent de le détruire, chez soi comme à l’étranger, le troupeau pourrait commencer à penser » ; « Si seulement les cœurs des individus n’étaient pas troublés par les séductions avec lesquelles ils sont séduits à tout heure, et n’avaient pas peur de ces terreurs imaginaires avec lesquelles ils sont intimidées » (Chap. XVIII).

    « Les Relations Publiques ; Le but du slogan « Appuyez nos troupes » …Ce slogan, personne n’a jamais la moindre idée de ce qu’il signifie parce qu’il ne signifie rien. Son point fort c’est de détourner l’attention du problème important, de la question qui, elle, a un sens, comme : « Approuvez vous notre politique ? » C’est justement la question qu’il n’est pas permis de soulever. Mais, bien entendu, on peut donner son avis sur l’appui à nos troupes. Et quel est cet avis ? Il est que, bien sûr, on ne peut pas ne pas les appuyer. Et la partie est gagnée » ; le silence hypocrite des dirigeants (Chap. IV) ; la proclamation anticipée de l’empereur (Chap. VI).

    Et : « Nous sommes (…) passé à une société dominée à un niveau remarquable par le milieu des affaires (…) Ceux qui sont capables de fabriquer le consentement sont ceux qui disposent des ressources et du pouvoir à savoir la communauté des affaires… » ; « Les éditeurs de la presse quotidienne heureux de recevoir un plus grand revenu commenceront, au nom du patriotisme, à inciter avec virulence les hommes à la violence et au meurtre. Les manufacturiers, marchands, entrepreneurs pour les magasins militaires se hâteront joyeusement autour de leur commerce, dans l’espoir de doubler les recettes. » (Chap. VI).

    « Le Défilé des Ennemis : Il fut un temps où les russes étaient le monstre…C’est ainsi qu’ont été créé les terrorisme international…les arabes déments….Il s’agissait d’effrayer la population, de la terroriser et de l’intimider (…) Le scénario est toujours le même : d’abord une offensive idéologique destinée à fabriquer un monstre chimérique ; ensuite le lancement d’une campagne pour l’anéantir » ; « Après avoir assuré le peuple de son danger, le gouvernement le subordonne au contrôle, et lorsqu’il se trouve dans cette condition, le force à attaquer une autre nation. Et l’assurance du gouvernement quant au danger d’une attaque de la part d’autres nations est ainsi corroborée aux yeux du peuple. » (Chap. XIV).

    « La Guerre du Golfe : « Aucune raison n’a été donnée pour justifier notre entrée en guerre (La guerre du Golfe). Absolument aucune, aucune raison qu’un adolescent qui sait lire et écrire n’aurait pu réfuter en deux minutes. Ce fait est caractéristique d’une culture totalitaire » ; Les réponses du moujik aux arguments du diplomate en faveur de la guerre contre l’Allemagne (Chap. VIII).

    Et aussi : « La population peut croire que lorsque nous avons recours à la force…c’est parce que nous appliquons le principe selon lequel il nous faut combattre par la force…toute violation des droits de la personne. La population ne se rend pas compte de ce qui se passerait si ce principe était appliqué à la lettre ; «…si la revanche de la France devait réussir, l’Allemagne désirerait à son tour une revanche, et ainsi de suite sans fin » (Chap. VIII) – On peut effectivement établir un lien du genre entre la première et la deuxième guerre mondiale.

    « La Culture Dissidente : « Depuis les années 60, elle a prospéré de manière remarquable, bien qu’au début, son développement ait été extrêmement lent. Ce n’est que bien des années après que les États-Unis aient commencé à bombarder le Viêt-Nam du Sud que s’est exprimée l’opposition à la guerre d’Indochine. Lorsque la contestation est née, le mouvement dissident était très limité, composé essentiellement d’étudiants et de jeunes gens. Durant les années 70….mouvements écologistes, féministes et antinucléaires…1980, les mouvements de solidarité…Il s’agissait non seulement de mouvements de protestation, mais également de mouvements engagés dans l’action, qui souvent intervenaient directement dans la vie des populations en détresse ailleurs que chez eux. (…) Tous ces faits révèlent l’existence d’un phénomène d’éveil social malgré la propagande (…) En dépit de tout, les gens développent leur capacité et leur volonté de réfléchir en profondeur. » ; «…l’opinion publique ne peut pas être produite à volonté par un gouvernement… l’opinion publique dans sa relation avec la vie de l’humanité…n’est jamais stagnante » (Chap. XVI).

    Ce bref survol des idées de N. Chomsky sur la politique en l’an 2000 montre que notre situation ressemble à celle que Tolstoï décrivait en 1894.

    Chomsky note aussi la valeur de la marginalité, la culture dissidente, dont il dit « les mouvements de ce genre sont très informels et ne sont pas comparables à des organisations dont il faut être membre ; il s’agit simplement d’un état d’esprit qui favorise les échanges. » Cette opinion est parfaitement compatible avec la philosophie de Tolstoï, pour qui « liberté, égalité et fraternité » étaient des aspects chrétiens essentiels de la vie (Chap. XIII, XVI et XVII), ainsi qu’avec la pensée d’un auteur souvent cité pour l’avoir inspiré d’une façon ou d’une autre, Jean-Jacques Rousseau : «…tous les gouvernements du monde, une fois revêtus de la force publique, usurpent tôt ou tard l’autorité souveraine. Les assemblées périodiques, dont j’ai parlé ci-devant, sont propres à prévenir ou différer ce malheur, surtout quand elles n’ont pas besoin de convocation formelle ; car alors le prince ne saurait les empêcher sans se déclarer ouvertement infracteur des lois et ennemi de l’État, » (Les moyens de prévenir l’usurpation du gouvernement In Le contrat social, 1762). Notons enfin que, dans la perspective "révolutionnaire" française, la solution non-violente de Tolstoï s’accorde encore une fois (voir Note 8) avec la réflexion de S. Weil : « Pendant des siècles, des âmes généreuses ont considéré la puissance des oppresseurs comme constituant une usurpation pure et simple, à laquelle il fallait tenter de s’opposer soit par la simple expression d’une réprobation radicale, soit par la force armée mise au service de la justice. Des deux manières, l’échec a toujours été complet ; et jamais il n’était plus significatif que quand il prenait un moment l’apparence de la victoire, comme ce fut le cas pour la Révolution française, et qu’après avoir effectivement réussi à faire disparaître une certaine forme d’oppression, on assistait, impuissant, à l’installation immédiate d’une oppression nouvelle » (Analyse de l’oppression In Réflexion sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, 1934).

  2. Il nous semble utile de passer en revue le lien qu’établit Tolstoï entre « la simple expression d’un homme libre » (Chap. XVI) et le fait « que les…dirigeants n’oseront pas … » (Chap. XVIII).

    « L’opinion publique n’est jamais stagnante dans sa relation avec la vie de l’humanité » (Chap. XVI). Chacun peut contribuer à la faire avancer, – n’importe quel homme qui dit la vérité dans le milieu où il se trouve – les travailleurs inconsidérés, qui fabriquent [les armes, etc.], impriment [des faussetés] et procurent [le luxe aux dirigeants] (Chap. V), mais aussi les empereur, roi, ministre, fonctionnaire, soldat, pasteur spirituel, [journaliste, écrivain,] révolutionnaire ou anarchiste (Chap. XVII) - essentiellement en s’appliquant à faire disparaître les incohérences dans sa propre vie : « Si les gens comprenaient seulement que la force n’est pas dans la force brute mais dans la vérité, ne se dérobaient pas d’elle en parole ou en action, ne disaient pas ce qu’ils ne pensent pas, ne faisaient pas ce qu’ils considèrent comme insensé et comme mauvais ! » Cette « abstention de mentir » (Chap. XVII), en nous affranchissant de la « contradiction que nous avons mis entre notre conscience et ce que nous considérons [faussement] comme notre opinion publique, grâce à une influence gouvernementale, » (Chap. XVI), nous permet de comprendre l’opinion publique véritable qui est « vivante et naturelle, » qui est tributaire de la « force spirituelle qui anime le monde, » c’est-à-dire Dieu (Chap. XVIII), tandis que cette « force spirituelle qui anime le monde échappent [aux gouvernement] » (Chap. XVII).

    En refusant de mentir, en repoussant les contradictions de sa propres vie (Chap. XVII), même si « on dirait [parfois] que celui qui exprime sincèrement sa pensée doive rester seul, » (Chap. XVII), on se situe alors « par delà le pouvoir de frustration » (Chap. XVII) – et donc capable de résister au mal par la non-violence – comme si on recevait le pain spirituel qui accroît l’énergie vitale dont parlait S. Weil (Note 9). Et « dès que cette opinion est établie, immédiatement et par degré imperceptible… la conduite de l’humanité commence à se modifier » (Chap. XVII). Il suffit donc « pour que la vieille opinion périmée cède sa place à la nouvelle et vivante, » que « tous ceux qui sont conscient des nouvelles exigences les expriment ouvertement » (Chap. XVII). Et pourquoi est-ce si simple ? Parce qu’il « arrive généralement que tous les autres, ou au moins la majorité, pensait et ressentait la même chose mais sans l’exprimer » (Chap. XVII). « Et [ainsi] ce qui était hier l’opinion nouvelle d’un seul homme devient aujourd’hui l’opinion de la majorité » (Chap. XVII). « La lumière n’a qu’à être allumée, et cette organisation qui semble si puissance fondra et sera consumée comme la cire en face du feu » (Chap. XVIII).

    Tolstoï a aussi écrit, dans « Le royaume des cieux est en vous » : « Toute nouvelle vérité qui change la façon de vivre et fait avancer l’humanité est d’abord acceptée par un nombre très limité de personnes, qui la saisissent en la connaissant. Le reste de l’humanité, ajoutant foi à la vérité antérieure sur laquelle le système actuel a été établi, est toujours opposé à la propagation de la nouvelle vérité. Mais puisque, en premier lieu, l’humanité n’est pas stationnaire mais progresse toujours, devenant de plus en plus familière avec la vérité et s’en approchant dans la vie quotidienne ; et puisque, deuxièmement, tous les hommes progressent suivant leurs opportunités, âge, éducation et nationalité, commençant par ceux qui sont plus et finissant avec ceux qui sont moins, capables de recevoir une nouvelle vérité ; les hommes les plus près de ceux qui ont perçu la vérité intuitivement, passent un à un, à des intervalles qui diminuent graduellement, du côté de la nouvelle vérité. Ainsi, comme le nombre d’hommes qui l’admettent augmente, la vérité devient de plus en plus clairement manifestée. Le sentiment de confiance dans la nouvelle vérité s’accroît en proportion du nombre de personnes qui l’ont accepté. »